Avis du professeur Gentilini

« Le gouvernement

 

en fait trop ! »


(Aujourd'hui en France) Propos recueillis par Marc Payet | 21.08.2009, 07h00


MARC GENTILINI, professeur de médecine, ancien président de la Croix-Rouge

Marc GENTILINI a dirigé la Croix-Rouge française de 1997 à 2003. Ce spécialiste des maladies infectieuses estime que le gouvernement, sous la pression des experts de la santé, en fait trop dans la prévention de l’épidémie de grippe A, au risque de faire peur aux gens. Proche de Jacques Chirac, dont il est le conseiller sur certains sujets de santé publique en Afrique, il accompagnera l’ancien chef de l’Etat au Bénin le 12 octobre pour lancer un appel contre les médicaments contrefaits.


Que pensez-vous de la gestion de la crise de la grippe A ?
Marc Gentilini. Je ne conteste pas la réalité de l’épidémie, mais objectivement elle ne me paraît pas terrifiante. En revanche, je constate une espèce d’emballement politico-médiatique. On a l’impression que l’on est déjà en pleine crise, spécialement en France. Or, ce n’est pas le cas. Certes, trois personnes sont décédées, mais elles avaient toutes des pathologies associées, c’est-à-dire d’autres maladies graves en plus de la grippe A. J’en veux à certains experts sanitaires qui tiennent un discours catastrophiste et forcent notre gouvernement à en faire trop, en application du principe de précaution.

Peut-on vraiment reprocher au gouvernement d’essayer de nous protéger ?
Marc Gentilini. Les autorités ont raison de se préparer. Mais là c’est trop. La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, qui est une femme intelligente, dit qu’elle s’entoure des meilleurs experts. Mais écoute-t-elle vraiment ceux qui sont moins alarmistes ? Le ministre de l’Education, Luc Chatel, dit vouloir fermer les classes s’il y a plus de trois élèves malades. Mais a-t-il réfléchi à la désorganisation terrible pour les familles ? Je crois ces mesures d’exclusion inefficaces et inapplicables. Le président de la République et le Premier ministre doivent refixer le cap.
Un de mes anciens élèves médecins qui revenait des Etats-Unis m’a dit en arrivant en France : « Mais qu’est-ce que c’est que ce cirque, chez vous ? Des affiches partout dans les aéroports et les entreprises, des classes d’école qui vont être fermées, des millions de prospectus distribués, alors qu’il n’y a presque pas de cas. C’est fou ! » Aux Etats-Unis, ils ont eu des décès, mais il n’y a pas le même emballement sur ce sujet. Il était très surpris par cette surcommunication gouvernementale.

Comment expliquez-vous cette attitude ?
Marc Gentilini. En France, les pouvoirs publics, et particulièrement le ministère de la Santé, restent traumatisés par les procès du sang contaminé et ceux de l’hormone de croissance. Désormais, ils ont tendance à ouvrir d’immenses parapluies dès les premières gouttes. La crise de la canicule n’a rien arrangé. On craint d’en faire trop peu, alors on en fait trop…

Que pensez-vous de l’achat de 94 millions de doses de vaccin ?
Marc Gentilini. Comprenez-moi. Toute ma vie je me suis battu pour la santé publique. Je suis résolument pour la vaccination. Mais il ne faut pas céder à la précipitation. On a appris à ne pas vacciner certains sujets à risque. Les effets secondaires doivent être bien connus. Attention donc aux éventuels risques que pourraient faire courir des vaccins fabriqués dans l’urgence, et dont la sécurité d’emploi ne serait pas totalement connue. Il ne faut pas que la pression de l’opinion passe avant la sécurité sanitaire.

Mais c’est l’Organisation mondiale de la santé qui a parlé, la première, de pandémie…
Marc Gentilini. Oui. Mais il faut remettre ces propos dans le contexte. La directrice de l’OMS, la représentante de la Chine Margaret Chan, a été élue à ce poste en 2006 car elle avait fait une campagne efficace pour éradiquer la grippe aviaire et le syndrome respiratoire aigu sévère (sras) en Asie du Sud-Est. Elle a planifié la guerre au virus grippal mutant. Mais ce qui était vrai pour l’Asie a eu tendance à être transformé en un combat planétaire pour estimer que l’épidémie apocalyptique allait forcément arriver. L’OMS majore le risque car, au début de l’épidémie de sida, elle n’en a pas mesuré l’ampleur en Afrique. Avant, elle péchait par défaut, maintenant elle pèche par excès.

Quelle serait, selon vous, la principale mesure à prendre pour faire face à la pandémie attendue ?
Marc Gentilini. Je centrerais tout simplement mon action autour des médecins généralistes, qui sont les meilleurs connaisseurs du terrain, et j’éviterais le discours alarmiste.



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